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Lumière sur la scène. Décors : une petite fontaine entourée d’un berceau de verre protégé de la chaleur et du vent. C’est là que travaille l’Empereur. Côté cour, le jardin, quelques chaises et un banc sous un arbre.
Dans le berceau, une table recouverte de papiers. Las Cases écrit. Un fauteuil impérial et une petite table où s’assoit parfois Napoléon. Quand la lumière s’allume, Las Cases écrit avec une plume. L’Empereur est à moitié assis sur la petite table, les bras croisés. Il fait un signe du doigt à Las Cases, hors scène. Pendant la scène, Betsy apparaît tout d’abord en courant puis elle s’arrête et écoute sans se faire remarquer.
NAPOLEON
Ecrivez aussi : Si Alexandre s’était rallié, je ne serais pas allé à Moscou. Mon beau-père me l’avait d’ailleurs fortement déconseillé. Mais je pensais qu’il était plus sûr d’assurer mes arrières. Il y a eu trahison et la rencontre de Tilsitt ne fut qu’un mauvais jeu, Alexandre n’a jamais accepté de compromis. Nous avions le même objectif, la domination de la Turquie et d’Istanbul. J’étais simplement mieux placé que lui puisque j’étais roi d’Italie (il se lève et fait le tour de la pièce. Il aperçoit Betsy) J’ai emmené 400.000 hommes en Russie pour battre Alexandre. 20.000 à peine sont rentrés. Et nous n’avons presque jamais combattu ! (il s’approche de Betsy) Ce pays est terrible, Mademoiselle Betsy, le froid vient vous mordre le corps et réveille les morts. Vous ne pouvez même pas pleurer, les larmes gèlent ! C’était affreux ! J’ai vu des hommes entrer dans les entrailles des chevaux pour y trouver un peu de chaleur et mourir de froid car ils s’endormaient. J’ai vu des hommes les membres raidis par le gel, qui se trainaient sur la glace en gémissant, j’ai même vu des hommes affamés vider les corps de leurs camarades pour essayer de survivre. Et tous ces cris ! Et toutes ces plaintes ! Tous ces appels au secours qui envahissaient la nuit ! Et tous ces coups de feu ! Les Russes abattaient comme des chiens ceux qui avaient encore la force de marcher ! C’était horrible, Mademoiselle, vous ne pouvez pas vous imaginer ce que c’était ! Même les maréchaux ne pouvaient plus avancer ! Ah ! Brave Ney ! Lui seul était resté à l’arrière pour défendre avec quelques hommes valides tous ceux qui n’en pouvaient plus ! Car les Russes attaquaient sans arrêt, sans pitié, sans relâche ! Sans la moindre considération pour une armée entière que le froid était en train de décimer ! Ils se sont battus en lâches ! Ce n’était pas difficile de massacrer des soldats qui ne pouvaient pas se défendre ! Il leur suffisait de tirer ! Les Russes ont toujours agi comme cela, en lâches ! Si mon armée avait mieux résisté au froid, nous les aurions battus, comme à Austerlitz ! Des incapables dirigés par cet abruti d’Alexandre ! (il donne un coup de pied dans une chaise) Et pendant ce temps, Malet conspirait contre moi à Paris ! Personne ne me laissait tranquille, ils voulaient tous ma fin ! A Paris, ils l’avaient annoncés, que j’étais mort ! Comme si le froid pouvait m’abattre moi ! Il fallait que je reste en vie pour la France ! Qu’est-ce que 100.000 soldats morts face à l’honneur de la France ? D’autres étaient prêts à continuer. La campagne de Russie ne m’aurait pas achevé si l’on ne m’avait trahi ! Tous m’ont trahi ! Talleyrand ! Fouché ! Nous étions les plus forts, les plus puissants ! Cela me rappelle la Rome antique, dévorée de l’intérieur ! Des factieux ont dévorés la France de l’intérieur, ce n’est pas moi qui l’ai perdu, ce n’est pas mon armée ! Ce sont tous ces bourgeois que le vice a placé au pouvoir et qui tiennent grâce aux conspirations ! Où est l’idéal de la révolution ? La vieille noblesse a laissé place à la bourgeoisie décadente ! Tiens, la vieille noblesse, il en reste ! Ceux à qui j’ai tendu la main, et Talleyrand ! Il n’a pas hésité à vendre la France pour s’assurer le pouvoir quel que fut le résultat de la guerre ! Je le tiens pour l’un des principaux responsables de la chute de l’Empire ! (Un temps) Il est vrai que si j’avais agi différemment en Espagne, les événements auraient pris une autre tournure. Je n’aurais pas du laisser une partie de mon armée en Espagne. Ces hommes là m’ont manqué en Russie ! L’Espagne fut ma plus grande faute ! Notez cela Las Cases ! Je n’en suis jamais venu à bout et j’ai trop dispersé mes forces. La guerre d’Espagne fut parfaitement inutile. Que des échecs sanglants ! L’Espagne est une tâche sur le drapeau français, une tâche sur mon front ! (il ferme les yeux) Que la postérité me pardonne ces erreurs ! Et tous ces morts ! Si mon frère Joseph avait pu faire régner l’ordre ! L’incapable ! La famille, Mademoiselle Betsy ! La famille ! Protégez-moi de ma famille, je me charge de mes ennemis ! Tous des incapables ! Je suis le seul Bonaparte ! Le seul ! Je n’aurais jamais du les assoir sur des trônes, l’Europe ne les méritait pas ! En attendant, je paye cher toutes mes erreurs ! Ils m’ont fait tomber dans cette île affreuse et perdue. Ils m’ont réduit à néant. Je ne suis plus que l’ombre de mon trône, l’ombre de ma gloire, j’en suis réduit à jouer avec une enfant ! Une enfant… ils m’ont tout pris, même mon fils ! Ils me l’ont enlevé ! Ils veulent en faire un prince autrichien, lui, l’héritier de la couronne de France ! Ils veulent en faire un allemand, un renégat à la patrie ! Le roi de Rome appartient à la France, il appartient à l’histoire. Il doit la poursuivre, suivre mes pas, ce que j’ai entrepris. La France a besoin de lui, elle ne peut pas vivre sans lui. L’aiglon doit apprendre à voler mais ses ailes doivent être françaises.
BETSY (touchée)
Quand avez-vous vu votre fils pour la dernière fois ?
NAPOLEON
La veille de mon départ pour Moscou. Je l’ai pris dans mes bras, il m’a souri et m’a dit :
« Où allez-vous papa ?
- Je vais voir Alexandre à Moscou
- Reviendrez-vous bientôt ?
- Je reviendrais dès que j’aurais parlé avec Alexandre
- Alors je vous attendrais. Papa, je vous aime !
- Moi aussi je t’aime mon fils. Moi aussi je t’aime ! »
Napoléon ferme les yeux, une larme coule.
Je l’ai embrassé, il m’a souri et je suis parti. Je ne devais plus jamais le revoir.
Je suis désolé Mademoiselle Betsy de m’être ainsi laissé allé, toute cette histoire n’est pas pour les petites filles… pardon pour les jeunes filles ! Mais vous savez maintenant qui vous avez devant vous, un ambitieux qui doit supporter le poids de l’histoire, à qui l’on a tout pris jusqu’à son sang, humilié sur ce rocher battu par les vents perdu en plein océan atlantique, à l’écart de tout, au bout du monde d’où je ne peux même pas m’échapper ! Ou vous êtes mon seul réconfort. (Il la prend dans ses bras) Merci d’être là Mademoiselle Betsy !
Un temps.
La nuit tombe vite sous ces latitudes n’est-ce pas ? Voulez-vous bien me tenir compagnie et regarder les étoiles avec moi ?
BETSY
Avec plaisir Monsieur, je ne peux pas vous laisser seul dans cet état !
La scène s’assombrit, deux néons s’allument près de l’arbre sous lequel s’assoient Napoléon et Betsy.
NAPOLEON
Là-bas, regardez ! Une étoile filante ! Vous l’avez vue ?
BETSY
Oui il faut faire un souhait, vite !
NAPOLEON
Avez-vous fait votre souhait Mademoiselle Betsy ?
BETSY
Oui Monsieur, et vous ?
NAPOLEON
Oui, oui ! Dîtes-moi votre souhait ?
BETSY
Ah non Monsieur, un souhait doit rester secret ! Je ne peux pas vous le dire !
NAPOLEON
Vous avez raison ! Mais tout de même ne voyez-vous pas là un signe du destin ? Quand j’ai évoqué la France, une étoile filante est apparue ! Vous savez quoi ? Je pense que c’est moi cette étoile filante ! Ne riez pas Mademoiselle Betsy, l’étoile filante c’est moi ! Oui c’est moi ! J’ai brillé pendant plus de vingt ans sur la France ! Ils ont cru m’effacer à tout jamais mais je suis encore là et je serais là jusqu’à la fin des temps à briller sur la France et le monde ! Ah, ah ! Je suis une étoile filante ! Mais une étoile filante n’arrête jamais de vivre et de tourner, de voguer dans les cieux ! C’est vrai que l’air est doux à respirer ce soir ! Tous ces feux, là haut, sous la voûte céleste, cela me rappelle la nuit qui précédait la bataille d’Austerlitz ! Il y avait des feux partout et ceux du ciel s’unissaient avec ceux des campements des soldats ! Il faisait froid cette nuit là, il y avait un léger brouillard près du sol mais on voyait tout quand même, des points lumineux partout, c’était magnifique. Quand je suis sorti de ma tente, les grognards éclairaient mon chemin de leurs torches ajoutant une voûte à la voûte céleste. Je voulais marcher incognito mais ils avaient reconnu mon allure et toute la colline s’est embrasée de mille feux pour éclairer ma promenade. Et des milliers de cris : « Vive l’Empereur ! Vive l’Empereur ! » Ah mon Dieu, c’était superbe, émouvant ! Le lendemain à l’aube, le soleil se levait pour nous, avec nous, pour la victoire ! Le soleil d’Austerlitz ! (un soupir) La plus belle journée de ma vie ! A chaque fois que j’y songe, cette nuit d’Austerlitz me remplit de mélancolie, je revoie ici le même ciel, les étoiles y brillaient avec la même ardeur… c’était un miracle car il avait plu pendant plusieurs jours et cette nuit là seulement, le ciel s’est dégagé ! Les dieux étaient avec la France. Je me suis souvent perdu en contemplation dans les étoiles, elles ont toujours dirigé ma vie ! Toutes ensembles on dirait un rideau merveilleux, comme un voile autour de la Terre ! N’avez-vous pas cette impression, Mademoiselle Betsy ?
BETSY
Si Monsieur ! Vous dîtes les choses si remarquablement, je soupçonne les étoiles de vous inspirer de la poésie !
NAPOLEON (sourit)
Ah ! Mademoiselle Betsy, connaissez-vous bien les étoiles ?
BETSY
Un peu monsieur !
NAPOLEON
Fort bien, levez-vous, venez ! Venez !
L’Empereur se lève et va au milieu de la scène, Betsy le rejoint. Il pointe son doigt vers le ciel.
NAPOLEON
Quelle est cette étoile qui brille si intensément là-bas ?
BETSY
Je ne sais pas Monsieur !
NAPOLEON
Allez répondez !
BETSY
Non, je ne sais pas !
NAPOLEON
Mais si vous savez, c’est l’étoile du berger !
BETSY
C’est possible Monsieur !
NAPOLEON
Doutez-vous de moi Mademoiselle ! Je vous affirme que c’est l’étoile du berger ! Et pourquoi l’appelle-t-on l’étoile du berger ?
BETSY
Je ne sais pas !
NAPOLEON
C’est l’étoile qui a guidé les bergers et les rois mages quand le Christ est né ! Vous manquez d’intelligence mademoiselle Betsy !
BETSY
Monsieur, savoir le nom des étoiles n’est pas une preuve d’intelligence !
NAPOLEON
Vous n’avez pas tort ! Mais cela peut toujours servir, quand on est perdu par exemple, il est plus aisé de retrouver son chemin si on connaît le nom des étoiles et leurs positions. (Il prend Betsy par le cou) Regardez-encore, mademoiselle Betsy ! Comment appelle-t-on l’amalgame que forme cet ensemble d’étoiles, là, au bout de mon doigt ?
BETSY
Combien y en-a-t-il ?
NAPOLEON
Cinq ! Ne les voyez-vous pas ?
BETSY
Je n’en distingue que deux !
NAPOLEON
Regardez mieux, suivez mon doigt, là ! Une, deux, trois, quatre, vous les distinguez maintenant ? (leurs têtes sont l’une contre l’autre) Et cinq ! Vous voyez le dessin que cela fait dans le ciel ?
BETSY
Oui Monsieur, c’est très beau !
NAPOLEON
Alors, quel est le nom de ce dessin ?
BETSY
Attendez, je crois me rappeler qu’il est question d’un animal mais je ne sais plus lequel !
NAPOLEON
Oui, oui (il imite l’animal) L’animal est gros, plein de poils et il pousse des grognements terribles et surtout, il aime le miel !
BETSY
L’ours, Monsieur !
NAPOLEON
Oui, oui, alors le nom ? Le nom !
BETSY
Je sais, la grande ourse !
Elle s’assoit sur le banc alors qu’un néon s’éteint. Un seul éclaire la scène. Comme un clair de Lune. La scène est peu éclairée et l’action se déroule dans une semi-obscurité.
BETSY
J’aime bien rester seule avec vous Monsieur ! La nuit est belle et je ne veux pas me coucher maintenant. Il est trop tôt vous ne croyez pas ?
NAPOLEON
Certes Mademoiselle ! Mais vous n’avez pas l’habitude de veiller ainsi !
BETSY
Il faut bien que les habitudes se prennent un jour monsieur !
Dîtes Monsieur, est-il vrai que j’ai des yeux de chat ?
NAPOLEON
Oui Mademoiselle Betsy, c’est vrai. Vous avez les plus beaux yeux de chat du monde, il est dommage que vous ne puissiez les voir, lorsque vous utiliserez un miroir dans votre chambre, regardez les, vous découvrirez deux ravissantes perles bleues qui flottent au fond de votre regard ! Et dans ce regard là, corps et âme se noient !
BETSY
Monsieur, c’est beau ce que vous me dîtes là !
NAPOLEON
N’êtes vous pas restée avec moi pour entendre cela ? Je le répète, vous avez le plus ravissant visage que j’ai jamais vu ! Et j’en ai vu ! Affrontez la vérité, j’ai envie de baiser ce beau visage et de caresser ces cheveux si soyeux, cette peau de soie veloutée, je la mordrais bien, délicatement n’ayez crainte ! Mademoiselle Betsy, vous avez des appâts plus qu’il n’en faut pour que je cède à tous vos caprices et que je joue le petit garçon devant vous ! Vous êtes très belle et votre pureté vous rend plus belle encore !
BETSY
Personne ne m’a encore jamais parlé comme cela ! Et je suis toute émue !
NAPOLEON
Aucun de ces jeunes freluquets qui vous courtisent n’a pu vous parler ainsi car ils sont incapables de voir la beauté et de saisir la grandeur de l’âme derrière cette beauté ! Moi je vois tout cela et j’aime tout cela !
Betsy lui prend les mains et les embrasse de nouveau.
BETSY
Aimez-vous cela aussi ?
NAPOLEON
Oui ! Le ciel soit béni de vous avoir mise sur mon chemin. Que la route a été longue pour arriver jusqu’à vous ! Il m’a fallu régner et me battre, vivre de nombreuses années avec la gloire comme compagne et l’hypocrisie comme sœur, l’armée comme famille et la France comme raison d’exister ! Aujourd’hui Napoléon Ier Empereur n’est plus, exilé à l’autre bout du monde, sur une île perdue. La gloire l’a abandonné mais la légende commence. Et je vous ai rencontré, vous entrez dans ma vie alors que je suis plus seul que jamais. Vous m’avez conquis, petite Betsy ! Et cela compte beaucoup pour moi !
Il l’embrasse une fraction de seconde sur les lèvres, n’osant pas aller plus loin.
BETSY
Prenez-moi dans vos bras ! Serrez-moi fort ! (ils se laissent aller)
NAPOLEON
Il y a une coutume en France, lorsqu’un homme et une deviennent amants, ils se disent Tu dans l’intimité ! En Angleterre vous ne pouvez le faire puisque le tu n’existe pas mais en France c’est important !
BETSY
Comme tu veux Monsieur !
NAPOLEON
Ah, ah, ah ! Tu es charmante ! Laisse Monsieur tranquille, il nous servira bien assez pour les convenances !
BETSY
C’est d’accord Napoléon !
NAPOLEON (il passe sa main sur son visage)
Eh bien voilà ! J’aime quand tu me regardes comme cela et quand ta peau frémit sous mes doigts !
BETSY
Oui c’est bon ! Mais quand même, avec toutes les maîtresses que tu as du avoir, je me sens vraiment petite devant toi ! Comme une enfant !
NAPOLEON
Mais tu es une enfant et c’est cela qui te rend plus désirable encore, et c’est ce qui me plaît en toi ! Mais je t’en prie, laissons mes anciennes maîtresses en paix, ce soir il n’y a que toi qui comptes ! Et quand je te regarde, je me dis que tu surpasses en beauté beaucoup de mes maîtresses.
Betsy met sa tête dans le creux de l’épaule de l’Empereur.
BETSY
N’as-tu jamais vraiment aimé une femme ?
NAPOLEON
Oh si j’ai aimé l’être le plus diabolique, le plus insaisissable et le plus délicieux qu’il me fut permis de connaître. Mais notre amour ne fut qu’une longue quête inachevée, je crois que nous avons raté quelque chose, ma passion s’est éteinte au fur et à mesure que ma gloire grandissait. Elle fut incapable de me donner un fils alors je dus me résoudre à me débarrasser d’elle.
BETSY
Tu l’as tuée ?
NAPOLEON
Non ! Je lui ai acheté un château ! Elle ne m’aimait guère au début puis avec l’âge (et la gloire), elle s’est attachée ! Moi j’étais fou d’elle, depuis le jour où je l’avais rencontré, j’étais encore un simple général et elle, le cœur de Paris ! Le Tout Paris venait s’encanailler chez elle, son salon était ouvert à tous, y compris aux désoeuvrés comme moi ! Nous nous sommes mariés le jour de mon départ pour l’Italie ! Un signe ! Notre mariage ne fut que rendez-vous ratés et champs dévastés ! C’est lorsqu’elle est morte que j’ai senti combien nous étions liés finalement !
BETSY
Donc elle est morte ?
NAPOLEON
Hélas oui mais je n’y suis pour rien ! J’ai pleuré moi qui ai si souvent cédé à ses larmes !
BETSY
Comment s’appelait-elle ?
NAPOLEON
Joséphine ! Elle t’aurait plu, vous avez le même charme, la même grâce féline ! C'était la femme la plus charmante, la plus aimable, la plus élégante, la plus affable qu'il y eut au monde ! (Il fait des grands gestes) Era la dama la piu graziosa di Francia.
Quant à mon divorce, je n'aurais jamais pu y consentir sans raisons d'Etat. Nul autre motif ne m'eut fait rompre un mariage avec une épouse aussi accomplie. Uniquement la raison d'Etat ! (bas) Uniquement ! (Vers le public) Et je rends grâce à Dieu de l'avoir rappelée à lui avant que j'éprouve mes derniers malheurs. (Il stoppe et se met à arpenter la scène les mains derrière le dos) Marie-Louise était fort différente. Elle m'aurait accompagné à Sainte-Hélène si on le lui avait permis. Elle était une fort bonne personne et une épouse dévouée. Elle ne discutait pas trop lorsque je disais quelque chose et elle m'aimait bien. En ce moment, je suis certain qu'elle regrette sa vie avec moi ! L'Aiglon lui ressemble beaucoup. Tenez, voyez. (Il sort de sa poche un portrait de Marie-Louise et le montre à Betsy)
BETSY
Elle est charmante ! Votre fils lui ressemble ?
NAPOLEON
Il a les yeux de sa mère, les cheveux et la forme du visage. De moi, il n'a que les lèvres !
BETSY
Alors, il doit avoir de très jolies lèvres ! (Elle lui rend le portrait)
NAPOLEON
Il a de très jolies lèvres ! (Il se rapproche de Betsy) avec un arrière goût de légende !
BETSY
Elle est allemande je crois ?
NAPOLEON
Autrichienne, mademoiselle ! Moi, fils de la Révolution française, j'ai épousé la petite nièce de Marie-Antoinette et finalement, j'ai bien fait, j'ai reconstitué l'alliance royale en Europe.
BETSY
Pour de bon ?
NAPOLEON
(il la regarde un temps et souffle) En fait l’alliance royale n’a pas voulu de moi ! Mon beau-père ne m'a pas trahi mais il n’a rien fait pour arranger les choses. Bien sûr, Marie-Louise avait peu d'attraits et elle ne gagnait guère à la comparaison avec les autres femmes de la famille impériale, toutes remarquables par leurs beautés et leurs physionomies pleines d'intelligence ! Cependant, je l'aimais bien ! (Un temps, il sort sa montre-gousset) Il se fait tard petite Betsy, cela t’amuse d’être dans les bras de l’empereur qui fit trembler l’Europe et failli mettre l’Angleterre à genoux ?
BETSY
Je me fiche de l’Empereur et je ne suis pas dans tes bras comme les autres, tu es un gentil monsieur et je t’aime bien !
NAPOLEON
Je ne suis donc pas le monstre dont toutes les petites anglaises ont peur ? Petite Betsy, je t’aime beaucoup et cette île affreuse où je suis perdu recèle le plus précieux bijou de l’univers.
BETSY
Tes lèvres sont merveilleusement dessinées !
NAPOLEON
Veux-tu goûter le parfum de la légende à travers ces lèvres ?
BETSY
Oui Monsieur, je veux bien !
Betsy embrasse maladroitement Napoléon sur les lèvres.
NAPOLEON
Je vais te montrer ! Mais nous gardons ce secret entre nous, n’est-ce pas ?
BETSY
Oui !
Il la serre contre lui et l’embrasse fortement sur la bouche.
NOIR SCENE
VOIX OFF BETSY
Qu’il était bon le parfum de la légende ! Mais le temps passait malheureusement vite et bientôt, la résidence de Longwood fut prête à recevoir son illustre invité. L'angoisse du départ m'étreignait au fur et à mesure qu'arrivait le funeste jour. L'Empereur est resté aux Briars deux mois et ces deux mois furent les plus merveilleux de ma vie. Nous passâmes des moments inoubliables et il eut été difficile, déchirant de nous séparer. Je pensais ne plus le revoir. Les préparatifs du transfert à Longwood allaient bon train. C’est à ce moment que l’amiral Cockburn m’accusa d’être une espionne pour le compte de Napoléon.